Tout en réprimant les religions et les coutumes non-chinoises, le PCC les remplace par des fêtes traditionnelles autochtones teintées de rouge.
Li Guang
La Fête de Qingming, que les étrangers appellent souvent le Jour de nettoyage des tombes, est une fête traditionnelle au cours de laquelle on honore ses ancêtres. Cette fête, qui a généralement lieu début avril, est célébrée depuis très longtemps comme l’expression de la piété filiale – l’une des valeurs confucéennes enracinées dans la psyché de la société chinoise.
La fête a été interdite par le gouvernement communiste avant d’être réhabilitée et rétablie comme jour férié en 2008. Le contraste est saisissant entre la répression sans précédent menée par le gouvernement contre les coutumes non chinoises et les fêtes religieuses, et la promotion qu’il fait de célébrations et de traditions séculaires chinoises soigneusement sélectionnées, dans le but de les rattacher à la politique de « sinisation » des religions de Xi Jinping.
Du fait de sa popularité auprès des Chinois hans, le Jour de nettoyage des tombes semble s’inscrire parfaitement dans ce programme de « sinisation », bien que les nombreuses activités superstitieuses qui y sont associées soient absolument proscrites pour les masses. Mais les autorités ferment les yeux devant les millions de familles qui, dans toute la Chine, se pressent dans les cimetières, non seulement pour nettoyer les tombes de leurs proches, mais aussi pour brûler des offrandes en papier – sous la forme de papier-monnaie ou illustrées d’objets qu’appréciaient les défunts – dans l’espoir d’apaiser leur âme et de solliciter des bienfaits pour les vivants.
Faisant fi de ses connotations spirituelles, le PCC se sert de la Fête de Qingming « […] pour orienter le “désir” du peuple vers la doctrine du Parti communiste », comme l’a souligné le New York Times dans son article de 2014. Cette année-là, dans le cadre de la « Fête rouge de nettoyage de tombes », des activités de grande envergure ont été organisées dans les cimetières où sont enterrés les chefs et les révolutionnaires du Parti.
Cette année n’a pas fait exception. Le Jour de nettoyage des tombes a été fêté le 5 avril ; la veille, le Bureau des affaires ethniques et religieuses de la ville de Luoyang situé dans la province du Henan, au centre du pays, a organisé une manifestation intitulée « Journée thématique du Parti : commémoration des martyrs pour hériter des gènes rouges de la révolution ». Les dirigeants et les prédicateurs d’Églises des Trois-Autonomies, ainsi que les responsables des lieux de culte catholiques, taoïstes, bouddhistes et islamiques de la ville agréés par l’État ont été invités à prendre part aux célébrations et à se rendre au cimetière des martyrs de la ville pour s’incliner devant les héros de la révolution.
Selon l’un des participants à cette manifestation, un pasteur de la région, c’était la première fois, à sa connaissance, que les autorités locales invitaient des dirigeants religieux à célébrer la Fête de Qingming. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’une fête chrétienne et où certaines pratiques sont contraires à leurs convictions, nombreux sont les membres de son église qui ne souhaitaient pas y participer, mais ils ont fait l’objet de pressions de la part du Bureau des affaires ethniques et religieuses.
Un prédicateur a ajouté : « Je ne suis pas contre la commémoration des défunts. Mais au vu de ce que je comprends de la situation, je ne souhaite pas célébrer le Jour de nettoyage des tombes, et la plupart de nos collaborateurs non plus. Il y a plusieurs indices qui montrent que le PCC contrôle la religion sous tous ses aspects ; ils testent les limites de la foi des fidèles en la teintant de “rouge”, encore et encore. Les prétendus “patriotisme” et “culture traditionnelle” n’ont franchement d’autre but que de forcer les gens à être loyaux à l’égard du Parti. »
Un membre du clergé de Luoyang dans le district de Jianxi a révélé qu’avant le Jour de nettoyage des tombes, le responsable local des Deux Conseils chrétiens chinois a convoqué à de multiples reprises les dirigeants d’églises et les diacres du district pour s’assurer qu’ils prendraient bien part à la manifestation. Le fonctionnaire a mis l’accent sur l’importance de promouvoir la culture chinoise traditionnelle et de rompre avec les coutumes religieuses.
En 2018, les actions menées par les autorités pour pousser les fidèles à renoncer à leur affiliation ont été particulièrement dures. Pour éviter que ne se répandent les « valeurs occidentales », dans toute la Chine, des chrétiens ont été empêchés d’observer les traditions de Noël et contraints de fêter l’anniversaire de Mao Zedong à la place, tandis que des fonctionnaires loyaux distribuaient des articles de propagande du Parti en guise de cadeaux de Noël ou détruisaient des églises. Pour lutter contre le terrorisme, des musulmans au Xinjiang ont été contraints à manger du porc et à boire de l’alcool ; et pendant le mois saint du ramadan, on les a empêchés de prier et de jeûner. Au lieu de cela, ils ont été endoctrinés par des cadres du Parti qu’ils n’avaient pas invités, mais qu’on a envoyés vivre chez eux afin qu’ils s’assurent que seules les traditions approuvées par le PCC étaient observées.