Une nouvelle vidéo exclusive de Bitter Winter rend compte de la sombre réalité du camp de rééducation de Yingye’er pour les musulmans ouïghours : ce n’est pas un « centre de formation professionnelle » mais une prison, ni plus ni moins
Massimo Introvigne
Le 12 novembre, un reporter de Bitter Winter a publié des images exclusives de l’un des camps de rééducation où un million et demi de prisonniers d’opinion sont détenus en Chine, parmi lesquels un million de musulmans ouïghours. Aujourd’hui, un autre reporter dont l’anonymat doit être protégé, nous a envoyé des images d’un autre camp de rééducation au Xinjiang dont l’aménagement intérieur est identique à celui d’une prison.
Devant les accusations et les condamnations permanentes par la communauté internationale des camps de rééducation au Xinjiang, les autorités du Parti communiste chinois (PCC) sont récemment passées du déni de l’existence de ces camps à l’affirmation selon laquelle il s’agit là de « centres de formation professionnelle ». Nos images montrent que ces camps ne sont ni plus ni moins que des prisons où les détenus sont lourdement endoctrinés. Des sources crédibles signalent aussi que certains y subissent des actes de torture et y meurent.
Cette nouvelle vidéo, tout comme celle qui a été publiée le 14 novembre, nous vient de la région de Yining au Xinjiang. Il n’y a pas qu’un seul camp à Yining. En août, notre reporter a pénétré dans le camp de rééducation du canton de Yingye’er et a pris en photo les bâtiments à l’intérieur.
À l’intérieur du camp de rééducation se trouve un complexe de bâtiments oranges alignés les uns à côté des autres qui abritent des dortoirs pour les « étudiants » du camp. Quand on examine de plus près les bâtiments du complexe de l’extérieur, on constate que chaque bâtiment comporte quatre étages. À chaque étage, il y a des grilles aux fenêtres ainsi qu’un panneau grillagé supplémentaire. Les zones de sortie de chaque bâtiment sont équipées de trois caméras de surveillance pour chacune d’entre elles qui balayent entièrement la zone à gauche, à droite et au centre. Sur la façade des immeubles, on peut lire le slogan suivant : « Nos remerciements les plus sincères pour la chaleureuse attention que nous porte le Comité central du Parti, avec le camarade Xi Jinping en son centre. »
Dans les bâtiments, l’aménagement intérieur est absolument semblable à celui des cellules d’une prison ou d’un centre de détention. Chaque chambre a des portes métalliques doubles et la porte métallique externe est également munie d’une grille et d’un cadenas à code. Chaque « dortoir » dispose de ses propres sanitaires et est équipé d’une caméra de surveillance. Selon une fuite émanant d’une source interne, il peut y avoir jusqu’à quinze personnes dans chaque dortoir. Notre enquête a également révélé que chaque étage compte 28 dortoirs et trois salles de classe. Divers slogans figurent sur les murs à l’extérieur des salles de classe, tels que : « Prenez l’habitude d’étudier le mandarin » (à l’intention des Ouïghours qui ne parlent habituellement pas mandarin mais leur propre langue ouïghoure) et « Suivez le chemin tracé par la pensée de Xi Jinping sur un socialisme aux caractéristiques chinoises pour entrer dans une nouvelle ère, et efforcez-vous sans faiblir d’atteindre le rêve de la Chine d’aboutir au renouveau de la nation chinoise. » Dans les salles de classe, il y a une rambarde et un grillage de séparation entre le pupitre des enseignants et les tables des étudiants.
Par ailleurs, à cet étage du bâtiment il y a également une salle de surveillance indépendante. Depuis le dispositif de contrôle sur grand écran, il apparaît clairement que des caméras de surveillance à 360 degrés sont installées dans les moindres recoins du bâtiment, non seulement dans les salles de classe, les dortoirs et les couloirs, mais même dans les sanitaires. Chacun des mouvements des détenus est surveillé 24 heures sur 24. Ils sont totalement privés de leur liberté et de leur intimité.
Chaque bâtiment est strictement gardé dans sa totalité. Outre les caméras de surveillance installées dans chaque recoin, l’entrée du bâtiment est équipée d’un portail métallique. Dans les couloirs, les fenêtres de chaque salle ont aussi été scellées au moyen de grilles de fer solides et d’un grillage métallique. Même les fenêtres de la salle qui peut servir de cafétéria pour les « étudiants » ne font pas exception. Il est presque impossible aux détenus de s’échapper.
Notre reporter a également remarqué qu’il y avait plusieurs zones entourées de grillage sur un terrain vide devant certains bâtiments, à côté desquelles se trouvent de grandes quantités de clôtures grillagées empilées qui n’ont pas encore servi. Sur le côté de ces clôtures, on peut lire les mots « refuge d’urgence ». Selon une source interne émanant du système de la sécurité publique, ce « refuge d’urgence » est vraisemblablement une aire de promenade extérieure pour les détenus. Une aire de promenade extérieure est la zone dans la cour d’une prison où les détenus sont autorisés par les autorités pénitentiaires à faire de l’exercice à des horaires définis.
On a présenté le camp de rééducation de Yingye’er au monde extérieur comme un établissement de formation professionnelle bien qu’il n’y ait aucune différence entre son aménagement intérieur et celui d’une prison.
En août de cette année, lorsque notre reporter a récupéré ces images, le camp de rééducation de Yingye’er était encore en travaux, mais en septembre, un employé a révélé à notre reporter que plusieurs milliers de personnes y étaient déjà détenues. Lorsque notre reporter a poursuivi en lui demandant de quel genre de personnes il s’agissait, l’employé s’est douté de quelque chose et a répondu : « C’est un secret ; je ne peux pas vous le dire. »
Mais voilà que la vérité se fait jour. Les vidéos de Bitter Winter que nos reporters ont tournées en prenant de très grands risques apportent la preuve que les camps de rééducation sont des prisons et non des centres de formation ou des écoles.